Que font les politiques lorsqu'une crise vient interrompre leurs vacances ? Réponses du journaliste et écrivain Jérôme Chapuisabacapress
Cet été, le temps aura été maussade, tout comme l'économie. Les politiques ont eu du pain sur la planche et ont dû écourter leurs vacances. Réformes délicates, gestion de crises ou campagnes politiques... Les congés d'été sont un moment dangereux et stratégique pour les politiques. Planet.fr a interviewé le journaliste Jérôme Chapuis, co-auteur avec Yaël Goosz des "Etés meutriers" (Plon).
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Un gouvernement n'est jamais en vacances

Planet.fr Votre livre est un recueil d’anecdotes politiques survenues pendant les congés gouvernementaux de 1976 à aujourd’hui. Vous y montrez qu’un gouvernement n’est jamais en vacances. Quelle est l’anecdote la plus représentative, mentionnée dans votre livre?

 

Jérôme Chapuis.  La plus représentative est celle qui a marqué tout le monde il y a 8 ans. Pendant la canicule, le monde politique a vu une crise sanitaire devenir une crise gouvernementale. Jean-Pierre Raffarin, qui était plutôt populaire à ce moment-là (juillet 2003 ndlr) avait dit à son gouvernement : "partez, reposez-vous, rendez-vous en septembre". C’est strictement l’inverse de ce que dit Nicolas Sarkozy aujourd’hui.

Il y a quelque chose de difficile à percevoir dans cette crise. Celui qui a symbolisé tout ça, c’est Jean-François Mattei. Il était respecté et populaire, mais il a été à l’origine d’un flop de communication ahurissant. Alors ministre de la Santé, il avait décidé de ne pas revenir à Paris au moment de la canicule mais de rester chez lui, en vacances. Cette crise politique a été très importante, et la règle qui veut qu’un gouvernement ne soit jamais en vacances, perdure aujourd’hui.

N'est-ce pas aussi une évolution liée à la multiplication et l'instantanéité des médias, qui ne leur laisse aucun répit?

Oui, c’est aussi une évolution du monde des journalistes. Il y a 30 ans, on parlait de la "trêve estivale" dans les rédactions. Aujourd’hui, c’est un moment d’opportunité pour les politiques, à condition qu’ils sachent profiter de l’écho d’une prise de parole estivale. Un exemple concret est Charles Pasqua, qui s’était fixé comme règle de toujours être là pour commenter l’actualité. Pendant l’invasion du Koweit par l’Irak, c’est le seul politique que l’on ait entendu dans les médias. Edouard Balladur l’a également bien compris, déclarant cette phrase : "en été, l’attention des Français est plus grande". Plus reposés, ils prennent davantage le temps de lire les journaux. C'est idéal pour les politiques, qui peuvent alors s’adresser aux électeurs et leur envoyer des signaux.

2011, l'été des vacances françaises

Cette année, Nicolas Sarkozy a demandé à ses ministres de prendre leurs congés en France. A l’exception d’Alain Juppé et de François Fillon, tous ont respecté cette consigne. Outre l’épisode MAM en Tunisie, y a-t-il une autre raison qui justifie pareille consigne, selon vous ?

Aujourd’hui, il y a une moindre tolérance du public pour les vacances lointaines des politiques. Rappelons-nous : François Mitterrand passait ses vacances dans un hôtel de luxe à Assouan, en Egypte. Jacques Chirac les passait à l’Ile Maurice.

Or, le premier été de la présidence de Nicolas Sarkozy est calamiteux. Tout le monde se souvient du yacht de Bolloré, mais également des vacances passées aux Etats-Unis, dans un standing très au-delà du vacancier français moyen. Cette exubérance a marqué son image durant les 4 années qui ont suivi. Il établit depuis une règle de sagesse, en demandant à ses ministres de passer leurs vacances chez eux.

Mais les politiques peuvent aussi bien le décider d’eux-mêmes, et pour d’autres raisons. On parle beaucoup de cette année, en oubliant que l’année dernière, tout le monde était resté début juillet. Uniquement parce que Nicolas Sarkozy avait annoncé un remaniement, et il fallait pouvoir répondre rapidement à une éventuelle convocation.

"Tout le monde vous écoute" en août

Vous prenez acte de ce conseil de Nicolas Sarkozy à son entourage : « En août, il faut toujours rester. C’est vide. Tout le monde vous écoute » pour justifier votre livre. Les Français pensent-ils différemment lorsqu’ils sont en vacances d’été ?

De la part d’un politique, ce serait une erreur d’étouffer un sujet pendant les vacances. Au contraire, il existe plusieurs exemples qui prouvent que c’est un moment idéal. Par exemple, l’annonce de la réforme des retraites en début d’été dernier avait été un acte pédagogique, la thématique devenant un vrai sujet de conversation des Français, comme en avaient attesté les sondages. Cet été, Xavier Bertrand décide d’annoncer la création d’un nouveau fichier national. C’est certainement une façon de s’adresser à son électorat. Pareil pour Claude Guéant annonçant l’augmentation des reconduites à la frontière des personnes en situation irrégulière. C’est une manière d’être sûr d’être entendus. Avant, c’était au contraire la période rêvée pour passer les lois sous le manteau, ou faire passer certaines hausses ou baisses désagréables.

Y a-t-il des étés plus "politiques" que d'autres?

Cette année, nous avons un été très politique. C’est d’ailleurs le cas sur toute la scène européenne, les responsables écourtent leurs vacances comme David Cameron en Outre-manche suite aux émeutes dans les banlieues multiethniques. Mais au niveau de la politique intérieure française, on savait que l’été serait politique. A l’instar de l’été 2006 pendant lequel les candidats à la primaire socialiste sillonnaient la France, en ce moment les tractations vont bon train, et les candidats pour 2012 parcourent la France, en vue de la primaire d'octobre. C’est notamment le cas des outsiders que sont Ségolène Royal, Manuel Valls ou Arnaud Montebourg, qui jouent beaucoup sur le terrain.

Il ne faut par ailleurs pas oublier les sénatoriales : elles auront lieu fin septembre, et si on en entend peu parler dans la presse, je peux vous dire que ça travaille beaucoup en ce moment ! Dans ce cas, il s’agit de campagnes "sourdes", à l’abri des micros et caméras.

Gouvernement et crise économique : quelle stratégie?

Votre livre est paru en juin, avant l’été. Vous l’avez dit, pour ce dernier été avant la présidentielle, on assiste à une succession de crises, notamment la crise économique. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs écourté ses vacances et réuni ses ministres le 10 août, avant de rencontrer Angela Merkel le 16. Que peut-on en dire ?

On se posait la question de savoir comment ce type de crise allait être gérée. Techniquement, il n’y avait pas d’urgence et Nicolas Sarkozy a tous les moyens de travailler au Cap Nègre. Il y a là-bas en permanence trois personnes : un officier de sécurité, son transmetteur, et son aide de camp. Il y a aussi, en général, un médecin, et tous logent en contrebas de la maison. Ils lui permettent d’être en contact avec les uns et les autres. Notamment, le Président peut joindre par téléphone sécurisé aussi bien Barack Obama qu’Angela Merkel, directement du Cap Nègre.

Revenir à Paris (pour présider une réunion de crise sur la siatuation financière, ndlr), cela a réellement été une stratégie de communication, non pas vers les marchés, mais vers l’opinion publique. Les Français n’aiment pas l’idée qu’il se passe des choses importantes dans le monde et que leurs dirigeants soient en vacances. Finalement, vu le programme de l’été, cette interruption de vacances n’est pas surprenante, et doit être interprétée comme un signe, un élément de communication.

Cette réunion de crise n'est pas une première dans le quiquennat de Nicolas Sarkozy... 

Les politiques sont désormais coutumiers du fait et préparés à l’idée qu’ils doivent pouvoir ajourner leurs congés. En effet, Sarkozy avait organisé une réunion de pré-rentrée sur la situation économique l’année dernière à la mi-août. Etaient présents François Fillon, Christine Lagarde, François Baroin, son secrétaire général qui était alors Claude Guéant, ainsi que Xavier Muscat. 

La situation l’exigeait, mais on peut parier sur le fait qu’il aurait su trouvé une autre raison pour remonter à Paris. Il s’agit de montrer aux Français que chaque politique peut sacrifier ses vacances pour le bien du pays.

 A 34 ans, après avoir longtemps travaillé à Europe 1, Jérôme Chapuis est devenu rédacteur en chef adjoint à I-Télé. Il a coécrit ce livre avec Yaël Goosz, 31 ans, grand reporter au service politique de RTL où il couvre l’actualité du parti socialiste.