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Le procès du cardinal Barbarin pour "non-dénonciation" d'abus sexuels a été renvoyé au mois d'avril. Il comparaitra avec six autres responsables du diocèse de Lyon. Pour comprendre pourquoi la pédophilie est toujours un tabou dans l'Eglise, Planet a rencontré Olivier Bobineau, sociologue des religions et de la laïcité, co-auteur de Le Sacré incestueux, avec le prêtre Joseph Merlet et la juriste Constance Lalo.

Planet : Pourquoi y-a-t-il une culture du silence autour de la question de la pédophilie dans l’Eglise ?

Olivier Bobineau : Comme dans toutes les institutions, il y a une culture du silence. Ensuite, l’Eglise n’est pas une institution comme les autres dans la mesure où il y a ce qu’on appelle la Curie, fondée il y a 922 ans. Elle est aussi fondée sur un principe hiérarchique, ce qui veut dire : pas de vague. Le grand tournant, c‘est la circulaire de mai 2011 de Benoit XVI qui dit : il faut remettre à la justice civile les prêtres accusés de pédophilie. C’est un tournant parce qu’entre 1089 et 2011, les affaires de mœurs étaient traitées par la Curie.

Planet : Ce grand tournant, c’est ce qui a permis qu’on entende plus parler aujourd’hui des affaires de pédophilie ?

Olivier Bobineau : On a commencé à plus en parler à partir de 2000 avec l’affaire Pican. Le tournant de 2011 a en fait vraiment eu un effet sur les écrits avec une condamnation totale. On a d’un côté le discours et les paroles du pape François, mais il y a quand même des pratiques qui vont être longues à changer. Je pense pour ma part que nous n’en sommes qu’au début des révélations. Aux Etats-Unis, ça fait 30 ans qu’ils sont dessus, nous ça ne fait que quelques années que la parole se libère. Mais attention, il va y avoir une augmentation du volume, mais dans la mesure où il y sécularisation de la société française, le pourcentage de prêtres pédophiles en France sera toujours moindre que le pourcentage de prêtres pédophiles aux Etats-Unis ou en Irlande.

Planet : Est-ce que le procès du Cardinal Barbarin pour "non-dénonciation d'abus sexuels", va changer quelque chose au sein de l’Eglise ?

Olivier Bobineau : Je ne sais pas. Je suis aussi historien de l’Eglise et le temps que les discours impactent les pratiques de la plus vieille institution humaine présente… Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Ce n’est pas la même temporalité. C’est une institution et la force de cette institution c’est qu’elle a été dans un temps long.

Planet : Qu’est-ce que le ‘’sacré incestueux’’ dont vous parlez dans votre livre ?

Olivier Bobineau : C'est le fait qu'un prêtre, un homme de dieu, qui se fait appeler père, abuse d’un enfant qu’il appelle mon fils ou ma fille. Il y a une forme d'inceste. Sauf que cet inceste est fondé sur un lexique paternaliste, ce lexique il est présent partout. Pape, papa. Un évêque, on l’appelle Monseigneur, ce qui veut dire un papa âgé, un abbé ça vient de abba, ça veut dire papa. Donc on a affaire à un langage de pater familias. Le pater familias c’est celui qui a l’autorité juridique, sociale, chez les latins depuis 500 avant Jésus Christ jusqu’à la chute de l’Empire Romain.

L’Eglise va incorporer dans sa structuration le lexique du pater familias. Ce qui est intéressant, c’est que dans l’évangile de Matthieu, Jésus dit vous n’avez qu’un seul père et vous n’appellerez personne père. C’est une religion de frères mais ce n’est pas une religion de pères, sauf que pas de bol, l’Eglise catholique a fait une religion de pères.

Planet : Face aux affaires de pédophilie, on questionne beaucoup le célibat…

Olivier Bobineau : Le célibat n’a jamais empêché les prêtres d’avoir des relations avec les femmes ou avec d’autres hommes. Le célibat, par ailleurs, n’a pas de fondement évangélique. Ca date du synode romain de 1049 où il s’agissait de dire ''il est temps d'arrêter'' parce que vous faites des enfants partout et comme vous faites des enfants partout, le droit romain l’emportant, vous disséminez le patrimoine de l’Eglise. Il fallait aussi protéger les femmes, parce que l’accord était le suivant : ma fille tu auras le salut avec moi, moi qui suis homme de dieu, en échange de ton corps.

Planet : Y-a-t-il des facteurs qui favorisent la pédophilie au sein de l’Eglise ?

Olivier Bobineau : Oui. Le premier c’est que quand vous dites à quelqu’un qu’il est un pater familias, qu’il a l’autorité juridique, sociale, politique et morale, vous lui conférez un pouvoir. Il a les pleins pouvoirs qui par ailleurs sont justifiés parce qu’il est censé imiter le Christ, ça s’appelle l’imitation du christ. Or devant une femme dont il n’a pas accès au corps, depuis le synode romain de 1049, il se trouve face à des adultes qui peuvent rompre la relation et le critiquer. Avec un enfant, il y a une asymétrie de pouvoir.

Ensuite, à un moment un homme à qui on a appris au séminaire : "touche pas à ton corps", condamnation de la masturbation, "touche pas à son corps", touche pas au corps de la femme, et "touche pas à mon corps", c’est-à-dire ne touche pas au corps de l’homme, condamnation de l’homosexualité, face à cela, il reste l’enfant.

Dans l’Evangile de Marc et de Matthieu, il est dit que celui par qui arrive le plus grand scandale, celui qui fait chuter l’institution, qui fait perdre la foi, c’est précisément la pédophilie des prêtres, c’est le scandale condamné par Jésus. C’est un scandale absolu au sein de l’Eglise.

Planet : Un scandale qui a quand même été tu jusqu’à récemment...

Olivier Bobineau : Oui mais qui a été tu dans la société française jusque dans les années 80-90. Dans l’émission Bouillon de culture, entre 1974 et 1979, il y a eu Gabriel Matzneff qui a dit ''j’ai couché avec tel adolescent et tel enfant". Il est en train de fumer sa cigarette et Bernard Pivot l’écoute.Le grand tournant c’est la Charte des droits de l’enfant en 1989. A partir de ce moment-là, l’enfant a des droits, y compris des droits sur son corps.