"La mémoire de Clara" : la vraie-fausse biographie de Carla Bruni-SarkozyAFP
Après avoir publié en 2008 ses conseils à Nicolas Sarkozy en vue de son mariage avec Carla Bruni, Patrick Besson revient avec une vraie-fausse biographie de la chanteuse.

Dans La mémoire de Clara, l’auteur raconte comment, après la guerre mondiale qui a sévi entre 2039 et 2045, une dénommée Clara Bruti, veuve d’un ancien président de la Ve République et atteinte de la maladie d’Alzheimer, tente de voyager à travers ses souvenirs. On vous laisse apprécier les similitudes entre le personnage principal et l’ex-Première dame. Extrait.

C’est la nuit que tout lui revient du passé par bribes incompréhensibles. Elle est sûre d’avoir eu une mère comme tout le monde, mais elle ne sait plus si c’était un homme ou une femme. Elle venait du sud: Espagne ou Portugal. Peut-être ce pays dont elle n’arrivera jamais à dire le nom jusqu’au bout: Yougoslovaquie, Belaslavie.

Son enfance est comme un bonbon qui fond dans sa mémoire. Elle se souvient qu’elle était riche parce qu’elle avait plein de copines pauvres. Elle leur montrait ses cent paires de chaussures et leur demandait de se servir, car elle n’avait pas deux cents pieds. Elle se souvient aussi de son nez. Il n’était pas le même. Elle se souvient mieux de lui que de son nez actuel. Dans sa tête, elle l’a toujours, heureusement que la place d’un nez n’est pas dans la tête.

Son nez actuel, à chaque fois qu’elle se regarde dans la glace, elle se demande: qu’est-ce qu’il fout là, celui-là ? Elle le trouve mignon, mais petit et on dirait que chaque année, il devient de plus en plus petit. Mer du sommeil amer.

Le téléphone vibre dans son oreille: elle a encore oublié de le mettre hors ligne. Il faut s’appuyer sur le nez à l’aide d’un doigt. Quand c’est le doigt de quelqu’un d’autre, ça marche aussi, mais c’est moins hygiénique. Elle décroche.

– Bonjour, c’est Jean-Paul.

– Jean-Paul qui?

– Lovamour.

– Connais pas.

– Jean-Paul, ton ex et ex beau-père.

– Ça fait trop d’ex.

– Merde, Clara.

– Pas de vulgarité, jeune homme. Qui que vous soyez, qu’est-ce que tu deviens?

– Je suis en Argentine.

– Que fais-tu en Argentine?

– J’y vis depuis trente-sept ans.

– Mais alors tu n’as pas connu l’Occupation.

– J’ai lu les journaux. C’était horrible. Une insulte à la dignité humaine. Nous en avons parlé la semaine dernière.

– Ça m’étonnerait: nous ne nous sommes jamais parlé. Pourquoi? Sans doute n’avons-nous rien à nous dire. Mais c’est gentil de me réveiller au milieu de la nuit: j’ai horreur de dormir. Tout ce temps perdu. Comment m’as-tu dit que tu t’appelais?

– Jean-Paul.

– Je sais: tu es le grand-père de mon petit-fils, probablement.

– Il t’a appelée.

– Il m’a appelée?

– Oui.

– Comment le sais-tu?

– J’ai mes espions. Grâce à eux, j’ai toujours un coup d’avance.

– Préviens-moi, la prochaine fois qu’il m’aura appelée, comme ça je le saurai.

– Il t’a demandé que je retire ma candidature à l’Académie française.

– Mais non: à Sciences Po. Pourquoi veux-tu rentrer à Sciences Po ? La politique, c’est démodé.

– Écoute, ça fera plaisir à Maria-Anna.

– Sciences Po ?

– Non. L’Académie. Je sais que Solal y pense aussi, mais je veux être le premier au moins une fois dans l’histoire mythique de notre amitié. Maria-Anna sera trop contente.

– Qui est-ce?

– Mon épouse depuis 2048.

– Maria-Anna est morte. Je m’en souviens: je portais un tailleur Gucci à son enterrement. Non: Dolce & Gabanna.

– Pas elle: sa fille.

– Tu as épousé ta fille?

– Ce n’était pas ma fille, c’était la sienne. Je l’ai élevée, c’est tout. Passons. Tu sais, la vie avec un génie n’est pas facile.

– Ta fille vit avec un génie?

– Ce n’est pas ma fille et le génie, c'est moi.

– Ha, ha !

– Je sais que tu ne l’as jamais pensé. C’est même à cause de ça que ça n’a pas marché entre nous.

– Je n’ai jamais pensé à toi, Jean-Claude.

– Jean-Paul. Jean-Claude, non mais. Maria-Anna me supporte et je considère qu’elle a droit à des compensations. L’Académie française en sera une. Je veux me présenter maintenant parce que dans huit ans, j'aurai atteint la limite d’âge: j’ai 112 ans. Je ne les fais pas, mais je les ai. Pourquoi dit-on faire son âge alors que c’est lui qui nous a faits? Maria-Anna et moi, on a soixante-douze ans de différence. Ce n’est pas rien. Je suis obligé de faire gaffe. D’avoir toujours un coup d’avance, si tu vois ce que je veux dire.

– Je ne vois rien.

– Mon fameux coup d’avance. Celui qui a fait ma célébrité.

– Ta célébrité?

– Ne sois pas vexante: tout le monde ne peut pas épouser un président de la République.

– Qui a épousé un président de la République?

– Toi. Ne me dis pas que tu as oublié Brancusi.

– Nicolas Brancusi? Je l’ai épousé?

– Jean-François Brancusi. Oui: au début de son quinquennat. Vous avez même eu des jumelles.

– Je me souviens: c’était pendant le défilé du 14 juillet. Je voulais voir le visage des parachutistes.

– Non, de vraies jumelles.

– Ah, oui. Que sont-elles devenues?

– Héroïnes de la résistance à l’occupation saoudienne. Fusillées ensemble au mont Valérien le 12 mai 2044, quelques semaines avant la libération de Paris par les alliés.

– Bad timing. Tiens, je parle anglais. Pourquoi?

– C’étaient tes filles, Clara.

– Si seulement je pouvais me souvenir d’elles, je pleurerais un bon coup.

– Bon, je te laisse: la langouste est servie. C’est le plat préféré de Maria-Anna. Moi, je le trouve vulgaire, mais tu me connais: toujours au service des dames.

– Ton fameux coup d’avance. Ne t’inquiète pas pour ton entrée à Sciences Po, je ne ferai rien contre. Tu tenteras l’ENA après?

– Si mon fils t’appelle...

– Tu as un fils?

– Oui, tu l’as même épousé.

– Moi?

La mémoire de Clara, de Patrick Buisson, aux éditions Du Rocher, 213 pages.