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Plusieurs présidents de région ont mis en place une disposition imposant l'usage du français sur les chantiers. Une mesure de bon sens pour les uns, ou discriminatoire pour les autres.

Il y a un an, le Figaro révélait le stratagème d'un élu d'Angoulême pour éviter le recours aux travailleurs détachés. Depuis, sa "clause Molière", qui oblige les personnes travaillants sur des chantiers publics à parler uniquement en français, a fait du chemin... et divise la classe politique.

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La polémique a pris de l'ampleur ces derniers jours depuis que l'initiative a été soutenue et mis en place par cinq présidents de régions de droite (Pays de la Loire, Hauts-de-France, Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes et Ile-de-France)  et un président de région de gauche (Centre-Val de Loire), ainsi que cinq départements et de nombreuses villes. Le président (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a même mis en place une brigade de cinq agents, qui sont entrés en fonction lundi pour bien s'assurer que les travailleurs parlent (ou comprennent) le français. Pour rappel, les travailleurs détachés sont des ouvriers étrangers qui viennent travailler sur des chantiers en France (ou ailleurs en Europe) et dont les entreprises qui les emploient paient 30 % de charges en moins que ce qui s'applique pour les nationaux.

L'initiateur de la "clause Molière" explique la mesure

Selon Vincent You, l'adjoint au maire d'Angoulême initiateur de cette mesure, la "clause Molière" lui est venue à l'idée après un épisode fâcheux. "J'ai dû faire construire un nouvel hôpital à Confolens, près d'Angoulême, et je me suis rendu compte sur le chantier que je n'avais aucun interlocuteur à qui m'adresser, car personne ne parlait français, a-t-il expliqué au Figaro. J'ai donc eu l'idée de rajouter cette clause et ai pu constater son efficacité. Dès la première réunion de chantier, une PME locale qui employait des Polonais non francophones a décidé de favoriser l'emploi local plutôt que de recourir à un interprète."

Selon l'élu, cette mesure doit à la fois permettre une meilleure sécurité des travailleurs sur un chantier, et soutenir l'emploi local. "J e pense que l'argent public doit d'abord servir l'emploi local, mais tant que la directive  travailleurs détachés  existe, il nous faut mettre sur un pied d'égalité tous les travailleurs, qui doivent être en situation de comprendre les risques sur un chantier." Il s'est dit surpris de voir la levée de boucliers contre la "clause Molière". "C e qui me surprend, c'est de voir Philippe Martinez (CGT) et Pierre Gattaz (Medef) tenir le même discours, éloigné de leurs bases et enfermé dans la pensée unique, a-t-il encore expliqué. L'accusation de racisme est hors sujet, symptomatique d'une élite coupée de la réalité."

La gauche crie au "racisme" et à la "discrimination"

Le patron de la CGT et celui du Medef ne sont pas les seuls à s'être insurgés contre cette "clause Molière". Le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, a déclaré mercredi que "la langue française doit être la langue de l'intégration", et déplore cette mesure, "pure posture électoraliste".

À gauche, certains crient au racisme et dénoncent une mesure qui va vers de la préférence nationale, qui est au programme de Marine Le Pen. Ainsi dans Le Monde, Alain Rousset, le président de la région Nouvelle-Aquitaine dénonce une mesure "raciste, inapplicable et totalement démago". Du côté de Jean-Luc Mélenchon, pourtant critique sur les travailleurs détachés, on parle d'une "clause Tartuffe". "Le scandale de la directive des travailleurs détachés est qu'elle met en concurrence les travailleurs entre eux, avec des travailleurs étrangers qui coûteraient moins cher. Ce sont ces travailleurs low-cost qui sont intolérables", explique au Figaro le porte-parole du candidat.

Voilà sur le plan moral, mais sur le plan juridique, qu'en est-il ? Selon le Figaro, les spécialistes du droit du travail restent "dubitatifs" sur l'usage de cette mesure. Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris et grand spécialiste du droit du travail, rappelle que "la liberté de parler la langue que l'on souhaite ou de ne pas comprendre le français est un principe constitutionnel".

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