abacapress
Pendant 30 ans, on y torturait des opposants politiques, accueillait des nazis en fuite ou violait des enfants. Aujourd'hui, on y passe ses vacances dans le paysage idyllique du Chili. Bienvenue à la "Villa Baviera".

Ce n’est pas un Club Med de haut prestige, mais l’idée est bien là. En sortant de sa confortable habitation, le touriste peut s’offrir un bain dans l’une des installations aquatiques, profiter des animations culturelles et gastronomiques aux reflets allemands, ou tout simplement se balader dans les hectares aux couleurs variées qui bordent le lieu. Au loin, le paysage s’étend à perte de vue, jusqu’à la cordillère des Andes derrière laquelle se cache l’Argentine. Ici, à 380 kilomètres au sud de Santiago, au beau milieu du Chili, tout le monde vous parlera de cet endroit comme d’un agréable centre de vacances, où se côtoient touristes étrangers et Chiliens en quête de dépaysement culturel. Partout ailleurs, son nom ne rimera qu’avec torture, secte, travail forcé et pédophilie. Car l’actuelle "Villa Baviera", telle qu’elle a été rebaptisée, n’est en réalité qu’une transformation touristique de la "Colonie Dignidad", qui a abrité une secte allemande et une prison dictatoriale entre 1961 et 1991.

À l’origine du lieu : Paul Schäfer, passé par les jeunesses hitlériennes, brancardier SS pendant la seconde Guerre Mondiale, poursuivi en Allemagne pour abus sur mineurs. Après avoir fui le pays au début des années 60, il s’installe dans un endroit reculé du Chili et y fonde la "Colonie Dignitad", qui, sous couvert d’actions caritatives auprès des populations déshéritées de la région, développe tout un panel d’activités moins empathiques : usine d’armement, accueil de Nazis exilés, travail forcé, rapt d’enfants, violences et attouchements divers… Sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet, Schäfer bénéficie d’une totale impunité, en échange de laquelle son camp sert également de lieu d’emprisonnement et de torture d’opposants politiques. Finalement poursuivi à la fin du régime Pinochet, il échappera longtemps à la justice avant d’être arrêté en Argentine en 2005, puis condamné pour abus sexuel sur mineur, homicide et torture. Il mourra cinq ans plus tard en prison, à 89 ans.

Un business juteux

Et c’est donc très professionnellement, après la condamnation du gourou, que la Villa Baviera est née, puis a grandi pour devenir aujourd’hui un business juteux, qui emploie plusieurs centaines de personnes et accueille chaque année des milliers de touristes, lesquels ne savent pas franchement où ils mettent les pieds. "Je suis venu pour découvrir la culture allemande", témoigne l'un, "c'est une étape sur la route de la Terre de Feu", explique un autre. Du côté de la direction de l'établissement, où veillent des descendants de la colonie, on balaie les questions d'un revers de la main, arguant que les juges ont jugé, que le passé est passé. Pourtant, il y a sur ce lieu bien plus que les fantômes de la Colonie dignitad ; quelques dizaines d'anciens membres résident toujours sur place.

Les traqueurs historiques de Paul Schäffer s'insurgent de la transformation du lieu, l'Allemagne, par la voix de son président Joachim Gauck, en visite au Chili, a condamné en juillet dernier le silence de ses diplomates, alliés à la hiérarchie de la colonie dans les années 1960... Mais pendant ce temps-là, les affaires tournent bien. La holding allemande qui détient la Villa Baviera possède une quinzaine d'autre entreprises comptant parmi les plus puissantes du pays, et leur bénéfice annuel se compte en millions d'euros. Dans la boutique du village, les souvenirs s'arrachent. Tous sont floqués "Ein ganz anders Ort". Un lieu différent...