Icibas, le 31 mars 2008

Ma révérende Mère,

Un grand et irréparable malheur vient d'arriver à l'abbaye d'Icibas, et j'ai le pénible devoir de vous en fairepart: c'est la mort de l'un de nos bons frères, l'Abbé Quille.Mardi dernier,pendant que l'Abbé Nédictine donnait le salut et pendant la quête du Père Cepteur,l'Abbé Quille est tombé sans connaissance entre les bras du Père Clus.Vous jugez de l'émotion générale: tous les révérends pères s'agitaient et pleuraient,excepté le Père Fide qui dissimulait mal sa joie. " Peut-être qu'un café bien fort ... proposa timidement le PèreColateur.€"Inutile. Vous voyez bien que tout est fini!" répliqua le PèreEmptoire. On alla malgré tout chercher le Père Manganate et le PèreChlorure, pensant que leurs efforts pourraient ranimer l'Abbé Quille.L'admirable Père Fusion, notre dernier espoir, ne put que constater le décès.Au milieu des lamentations, on se prépara donc pour la cérémonie, pendantque le Père Sonnage, le plus grand de la communauté, sonnait les cloches àtoute volée.On se dirigea vers la chapelle. Comme la chaire était en réparation, lepère Oquet monta sur le Père Choir, et fut suivi par l'Abbé Gueule quiparla avec véhémence.Puis l'Abbé Mol chanta le De Profondis.Une grande discussion s'éleva sur le chemin du cimetière. Le Père Clus etl'Abbé Cane ne voulaient pas quitter la route, tandis que le Père Illeuxvoulait monter tout droit vers la montagne, ainsi que le Père Dreau etl'Abbé Casse qui affectionnaient les chemins escarpés.Le Père Plexe hésitait; quant au Père Formant, il n'était pas contre un peu d'exercice.Le Père Nicieux, le Père Sistant et le Père Vers animaient la discussion,sans se préoccuper des absurdités prononcées par l'Abbé Ration. Il fallutque le Père Spicace et le Père Suasif prêchassent l'apaisement, maisseule, la ténacité du Père Sistant put rétablir l'ordre. Le Père Turbateuret le Père Sécuteur eux-mêmes durent renoncer à semer la discorde. Pendantce temps, l'Abbé Attitude était de l'avis de tout le monde.Enfin, on arriva au cimetière. Devant la fosse que le Père Forateur avaitcreusée,le Père Gola déposa un bouquet discret, puis le Père Pétuel et lePère Manant parlèrent de l'éternité, tandis que tout le monde pleurait...(surtout le Père Clus qui, en perdant l'Abbé Quille, perdait son seul soutien).Ce fut un bien triste cortège qui reprit le chemin du couvent, derrière lePère Pendiculaire courbé par la chaleur. Chacun s'en fut dîner, après quele Père Uquier eut rasé tout le monde. Le repas fut mélancolique;le Père Sil avait perdu sa fraîcheur, et l'Abbé Chamel n'avait jamais paru d'unetelle blancheur. En revanche, l'Abbé Terave devenait violacé.Le Père Itoine se tenait douloureusement le ventre et le Père Imé semblait avoirvieilli de dix ans.Je suis convaincu, ma révérende Mère, que vous prendrez part à notredeuil, et vous prie de croire à mes sentiments religieux.

L'Abbé Tise Père de La Trappe